Hausse du volume de transactions hôtelières en France dans un environnement de marché européen en léger recul
L’année 2022 et le début d’année 2023 sont marqués par un contexte macroéconomique et géopolitique incertain, avec l’entrée dans une phase d’inflation et de hausse des taux d’intérêt importantes pour les pays européens. Cette période s’est également caractérisée par le retour, voire le dépassement, des performances hôtelières de 2019, notamment avec un rattrapage des prix moyens.
Sur le plan européen, avec plus de 15 milliards d’euros de volume échangés, l’investissement hôtelier était en recul de 7% par rapport à 2021 et de 32% par rapport à la moyenne 2015-2019. Les baisses concernent notamment les marchés anglais, allemand, italien et espagnol, pour lesquels les volumes investis ont diminué en moyenne de 25 à 30% selon les brokers interrogés.
Les portefeuilles ont représenté environ 34% du volume total contre 66% pour les actifs individuels cédés, soit une proportion de single asset plus importante que l’an passé dont les transactions « off market » ont été légion.
Alors qu’au premier trimestre les transactions étaient plus dynamiques qu’en 2021, les trois trimestres suivants ont été en deçà des prévisions, en lien avec un contexte général poussant à l’attentisme en raison de la crise géopolitique et de l’inflation.
L’allongement des processus de vente et de financement a décalé les closings de transactions :
– la croissance des revenus moyens par chambre, dépassant souvent ceux de 2019, laisse espérer aux vendeurs une hausse des valeurs, voire a minima un maintien de celles-ci ;
– depuis le début de la guerre en Ukraine (février 2022), les hausses générales des coûts (énergétiques, matières premières, salaires, construction), des taux d’intérêt et des taux de rendement immobiliers, durcissent l’accès au financement et créent des écarts sur les prix de cession attendus entre acquéreurs et vendeurs.
À l’inverse du marché européen, la France a affiché une hausse significative des transactions hôtelières en 2022 (+67% vs 2021), atteignant environ 2,4 milliards d’euros investis. La France devient le 3e marché européen en termes de volume de transactions, derrière le Royaume-Uni et l’Espagne, dépassant ainsi l’Allemagne.
Si Paris représente près de 40% du volume investi dans l’Hexagone et se place comme la 3e ville européenne en volume de transactions, le marché a également été largement soutenu par des opérations en région (environ 1,5 milliard d’euros). Les transactions hôtelières ont majoritairement concerné des actifs individuels (plus de 80% du volume investi en 2022) et ont été opérées par des acteurs français à 85%, souvent off market.
L’année 2023 devrait continuer de comptabiliser des volumes d’investissements élevés. Le premier semestre a notamment été marqué par des transactions d’actifs parisiens prestigieux, tels que le Westin Paris Vendôme pour environ 650 millions d’euros ou l’hôtel California pour 125 millions d’euros, ainsi que diverses cessions en région comme l’hôtel Splendid à Cannes ou le Château de l’Île à Oswald (périphérie de Strasbourg).
Si la France n’échappe pas aux conséquences de la hausse des coûts d’exploitation et des taux d’intérêt, elle bénéficie d’une visibilité forte sur le marché international, grâce à l’organisation de la Coupe du Monde de Rugby en 2023 et des Jeux Olympiques en 2024. Par rapport à ses voisins européens, la France a également connu une plus forte croissance de ses revenus hôteliers (+7,1% de RevPAR 2022 vs 2019, contre 6,1% sur la moyenne européenne).
La France a donc été moins affectée par la hausse des coûts grâce à une inflation plus contenue (+5,9% en 2022 vs plus de 9% pour l’ensemble de l’Union Européenne – source FMI). La classe d’actifs hôteliers en France s’est ainsi distinguée au cours des dix-huit derniers mois grâce à la force de la destination touristique France et la résilience des exploitations, donc des valeurs. Elle est restée attractive auprès des investisseurs et s’est établie comme un segment « refuge », capable de s’adapter rapidement au contexte inflationniste et d’assurer des niveaux de rentabilité satisfaisants.
Seule ombre au tableau, la remontée des taux d’intérêt bancaires (400 bps en 1 an) qui tend à éroder les capacités d’effets de levier financiers des porteurs de projets, en structurant les transactions autour de toujours plus de fonds propres (+/- 40%) et une charge d’intérêts financière plus accrue (+15 à 25%) selon la durée du crédit.
Comment évoluent les valeurs d’actifs hôteliers en 2022 – 2023 ?
Depuis 2015, l’investissement hôtelier en France était favorisé par de faibles coûts de financement, caractérisés par le maintien des taux OAT 10 ans à des niveaux compris entre 0% et 1%. La hausse de l’inflation depuis la fin de la crise sanitaire et la guerre en Ukraine (+5,9% à fin 2022) s’est suivie d’une hausse du taux OAT qui a atteint 1,7% en 2022 (vs 0% en 2021), puis d’une hausse des taux d’intérêt immobiliers qui ont progressé de 1,1% au T1 2022 à 3,3% au T2 2023.
En période de haute inflation, il est souvent observé que les investisseurs demandent des rendements plus élevés sur leurs obligations pour compenser la perte potentielle de pouvoir d’achat causée par l’inflation. L’inflation se poursuivant en 2023, on observe, en réponse, une hausse des taux OAT 10 ans, suivie d’une hausse des taux d’intérêt immobiliers, visant à limiter l’augmentation des prix observés sur le marché.
En effet, cette corrélation s’explique en partie par l’effet de levier que les taux OAT 10 ans ont sur les coûts de financement des banques, qui se répercutent ensuite sur les taux d’intérêt proposés aux emprunteurs immobiliers.
La faisabilité des projets hôteliers étant, dans la majeure partie des opérations, conditionnée à l’obtention d’un financement bancaire, les hausses successives des coûts de financement ont « normalement » pour effet mécanique de baisser ou d’atténuer la valeur des actifs à la vente et/ou les attentes de TRI des investisseurs.
« La compression des multiples de transaction conjuguée à l’excellente des performances d’exploitation hôtelières permet de maintenir la valorisation des actifs dans le contexte de marché actuel et cela malgré la hausse des charges d’exploitation et des taux d’intérêts. L’hôtellerie fait preuve de résilience dans un marché inflationniste ».
Patrick Luis Directeur Dénéral, HIC (Hôtel Investissement Capital)
Toutefois, si l’on observe un ralentissement des niveaux d’investissements hôteliers en Europe en 2022 (environ -7% 2022 vs 2021), on note une hausse des montants investis en hôtellerie en France (environ +67% en 2022 vs 2021), retrouvant ainsi les volumes moyens d’avant crise. Le rachat des sociétés hôtelières Murs et fonds de commerce a été privilégié, afin de racheter des dettes antérieures bien négociées. C’est l’une des raisons qui ont permis le maintien des valeurs d’entreprises et ce, malgré tout ce qui a pu impacter le marché bancaire.
L’inflation, contenue entre 0-2% en France depuis 30 ans, a atteint 5,9% en 2022 selon plusieurs sources institutionnelles. Cette hausse s’explique en grande partie par la hausse du coût de l’énergie et des denrées alimentaires après le début de la guerre en Ukraine. Toutefois, la particularité de l’hôtellerie en tant que classe d’actifs immobiliers sous gestion par des professionnels est sa capacité à avoir pu ajuster ses tarifs en temps réel en lien avec la demande du marché. On observe ainsi la forte sensibilité de l’évolution des niveaux de prix moyens hôteliers, amplifiant les variations de l’inflation.
« Depuis 40 ans, l’hôtellerie a toujours su juguler les crises par des effets prix, qui se sont toujours révélés supérieurs à l’inflation… d’où sa résilience », comme le précise Stéphane Botz, Associé KPMG Hospitality, Directeur National France.
Cette adaptabilité confère au secteur hôtelier, dans la période actuelle, un réel avantage économique par rapport aux autres industries. Agiles dans un environnement économique en mutation, les hôteliers peuvent répercuter sur leurs prix moyens les hausses observées sur leurs charges d’exploitation (matières premières, énergie et masse salariale notamment). L’enjeu financier des exploitants est donc de refléter la hausse des charges d’exploitation sur les prix moyens, tout en veillant à ne pas dépasser le seuil maximal acceptable par leurs clients.
Avec des croissances d’environ 20% sur les prix moyens hôteliers 3-4* en 2022 par rapport à 2021, contre environ 6% d’inflation, l’industrie démontre aujourd’hui sa bonne santé économique. Les prix moyens 2022 sont ainsi supérieurs d’environ 15,4% à ceux de 2019, tandis que l’inflation était de 8,9% sur la même période.
« Les hôtels haut de gamme et de luxe disposent de la plus grande élasticité tarifaire s’ils sont bien positionnés. Ainsi, ces catégories d’hôtels absorbent le mieux la hausse des taux et maintiennent, voire augmentent leurs valeurs ».
Serge Mesguich Directeur du Fonds France Investissement Tourisme, Bpifrance.
L’année 2023 s’annonce encourageante avec des performances hôtelières toujours en hausse au premier trimestre, s’expliquant notamment par l’augmentation de la capacité aérienne et les conditions monétaires favorables pour les porteurs de dollars, sécurisant le retour des clientèles étrangères.
L’hôtellerie se distingue également des autres classes d’actifs immobiliers par sa composante d’exploitation (Fonds de commerce). « La singularité de l’hôtellerie est d’être appréhendée en Murs et Fonds de commerce. Elle lui permet ainsi d’allier la résilience du foncier à l’adaptabilité de l’exploitation », selon Stéphane Botz. Forts de cette composante, les actifs hôteliers ont historiquement conservé un taux de capitalisation supérieur à ceux des autres actifs immobiliers à localisation comparable.
Dans un contexte de remontée généralisée des taux, on comprend ainsi que cette classe d’actifs hôteliers est en mesure d’absorber davantage ces hausses, avec dans l’ensemble de moindres primes de risque supplémentaires. Dans ce contexte de hausse cumulée des taux de capitalisation et des cash-flows opérationnels des sociétés d’exploitation hôtelière, il est intéressant de s’interroger sur l’évolution de la valeur des actifs hôteliers. Ainsi, nous avons modélisé l’évolution de la valeur d’un actif hôtelier entre 2019 et 2022, en faisant varier la hausse des taux de capitalisation (+25 à +150 points de base vs 2019) et le niveau d’EBITDAR (de 0 à +25% vs 2019).
Si l’on tient compte d’une hausse des taux de capitalisation de 50 à 100 points de base, on observe qu’un actif hôtelier maintient son niveau de valeur s’il parvient à augmenter son EBITDAR de 10% à 20%. Le niveau de RBE par chambre disponible (GOPPAR) en 2022 est en moyenne supérieur de 10-15% pour les hôtels 3* et 4*.
Ainsi, pour ces catégories, nous observons que les valeurs d’actifs hôteliers se sont dans l’ensemble maintenues par rapport à 2019. Les hôtels 5* ont pour la plupart réussi à augmenter plus largement leur niveau de RBE par chambre disponible et ainsi leur niveau de valeur. À l’inverse, les hôtels 2*, ayant moins d’élasticité tarifaire, sont parvenus à retrouver leurs niveaux de performance d’avant crise, sans pour autant les dépasser.
Ainsi, la valeur de ces actifs est impactée à la baisse par la hausse des taux. Le calendrier évènementiel prévu en 2023/2024, ainsi que les perspectives de trafic anticipées par la SNCF (+20% de réservations à juillet 2023 par rapport à juillet 2022), sont encourageants pour les niveaux de valorisation des hôtels.
« L’évolution des valeurs d’actifs doit ainsi être estimée hôtel par hôtel, en analysant la qualité des sous-jacents de la destination et de l’actif, la solidité de l’exploitant et sa capacité à créer un positionnement distinctif afin d’optimiser ses performances ».
Stéphane Botz associé, KPMG Hospitality, Directeur National France.
Informations issues de l’étude « L’industrie Hôtelière Française en 2023 » réalisée par KPMG SA
http://dlvr.it/TFp5yt